Continuons là où je m'étais arrêté ! Après une première journée plutôt molle, je décide de ne plus perdre de temps !
Je me rends donc à 8h à la location de ski, armé de mon pass saisonnier, et je me mets sur la route de la station, les skis sur l'épaule, et commence à lever le pouce. J'attends à peine 10 minutes et une petite voiture s'arrête, enfin petite, ce n'est pas un pick up ! D'ailleurs, aussi loin que je me souvienne, jamais un pick up ne s'est arrêté pour me prendre ... C'est Dan, un jeune homme qui travaille au bar de la station. Il est vraiment sympa, et, comme souvent quand on me prend en voiture, on discute de voyages en France ! Paris bien sûr, la côte d'Azur, mais aussi Toulouse sont des destinations très prisées !
Et c'est parti ! |
Les skis enfilés, je retrouve rapidement les sensations, et me fais plaisir sur les pistes de la station. Il n'y a pas des masses de neige, il faut faire attention aux cailloux, mais celle qui est là est bonne et ça suffit pour envoyer ! Il n'y a aucun téléphérique, et aucun chalet aux alentours, la station se trouvant dans un parc national. A midi, je mange dans la salle commune, salue Dan au passage, et je discute avec un couple d'Edmonton d'une soixantaine d'année. Ici, tout le monde est d'Edmonton, c'est la station la plus proche. Quand on est tout seul, ça fait du bien d'échanger un peu, et quand je raconte mes aventures, l'homme répète sans arrêt : "Good for you !". Je rechausse les skis, et descends sur des musiques de Gorillaz ou Daft Punk, quel bonheur !
Je rentre quand le dernier télésiège ferme, et lève à nouveau le pouce. C'est à nouveau une famille d'Edmonton, dont le mari a grandi à Glasgow, qui me ramène. De retour au magasin de location, je fais part de mon envie de monter au Whistler Summit, un sommet juste à côté de Jasper qui culmine à 2430m, auquel on peut accéder par un téléphérique en été, mais qui est fermé en hiver. Pour situer, Jasper se trouve à 1100m d'altitude environ. Un des loueurs me décrit le chemin sur la carte, et m'indique les zones auxquelles il faut faire attention. Je prends les raquettes le soir même pour bien attaquer le lendemain. Ce sont des raquettes différentes que celles que j'ai connues en France : un contour métallique, un support en tissus épais, des crampons à la pointe et sous le pied, et seulement deux sangles pour maintenir le pied.
Le soir, je me prépare des pascades, galettes spécialités aveyronnaises à base de farine, oeufs et lait. Je les agrémente d'oignons et des restes de dindes de Noël. Soudain un bruit strident retenti, c'est en fait le détecteur de fumée, obligatoire ici, que le trop de beurre que j'ai mis dans la poêle a déclenché. Je dois l'arrêter 4 fois de suite avant d'en être définitivement débarrassé !
Objectif : Whistlers Summit (2430m) |
Le lendemain, c'est parti ! A 8h, je suis sorti, avec mon gros sac contenant un pull, mon sac de couchage (je n'aime pas que mon gros sac soit vide), une couverture de survie, de l'eau, les pascades et des barres céréales, etc... et bien sûr les raquettes ! Le trajet commence par 3 km sur la route des pistes, et l'échappement des voitures contraste fortement avec l'air pur de la montagne ! Mais je quitte bientôt la circulation pour une route moins fréquentée. J'arrive sur le parking du départ du chemin. Un panneau indicatif informe les randonneurs sur l'itinéraire et les dangers de la randonnée, notamment la rencontre avec les ours. Je lis tout ça rapidement, on ne sait jamais, et puis c'est parti sur un classique petit chemin d'approche en sous bois. Après une bonne heure, je tombe sur des traces un peu plus grandes que les autres, et elles font bien la taille de ma chaussure ... avec une forme de voute plantaire. Je ne distingue pas s'il y a des griffes, mais je ne me sens pas particulièrement confiant. Je tends l'oreille, mais rien, alors je continue. Au ranch, on parle beaucoup d'attaque de cougars, sorte de très gros chat, qui peuvent être mortelles. Maike en est terrorisée et fait des cauchemars la nuit. Il faut dire que les premières fois que j'allais à la chaudière à pied, je tenais fermement mon couteau à la main, en répétant les gestes de défense ! Bref je continue mon ascension. Les sapins commencent à s'espacer, et la neige à devenir plus profonde : il est temps de chausser les raquettes. Franchement, elles sont pas mal, bonne accroche sur la neige gelée, et ne s'enfoncent pas trop dans la poudreuse. Comme je suis tout seul et que personne n'est passé avant moi, je dois faire la piste. Et faire la piste, pour ceux qui connaissent, c'est pas une partie de plaisir. Le truc, c'est que tu peux pas aller trop vite, il faut prendre le rythme. Et c'est pas évident, parce qu'une fois, la neige est molle et tu t'enfonces, la fois d'après, c'est gelé, donc tu dois forcer dans les cuisses, et ainsi de suite. Et puis, il y a l'angle avec la pente. Si tu attaques tout droit, ça glisse et c'est fatiguant, si tu attaques trop en biais, tu ne montes plus ! Donc en plus d'être un exercice physique, c'est un gros exercice mental. Je me mets donc à m'encourager, et à compter doucement 1....2....1....2. Et je vois la station de téléphérique se rapprocher doucement. Et puis je dois surveiller ma montre : si je ne reviens pas à la location avant 18h, ils appellent les secours ! J'arrive donc au sommet vers 13h, après 5h de marche.
ERREUR ! A ne pas reproduire chez vous à la maison ! |
Trop content d'y être, malgré les nuages font s'estomper les sommets alentours, la vue est belle. Je ne dirais pas magnifique, car le soleil n'est pas de la partie. C'est un peu comme un Noël sans sapin ou une soupe pas salée : il manque quelque chose. Et là, je me dis que, comme pendant un bonne rando en été, rien de tel que de changer de tee-shirt et de prendre son repas en appréciant la vue. Je me mets donc à l'endroit le plus exposé au vent, et commence à me mettre torse-nu. Je prends une photos pour le fun, et j'essaie d'attaquer mes pascades. Sauf que là, les doigts ne répondent plus. J'ai l'impression de devenir manchot. Alors, comme après mon engelûre du mois de novembre, j'ai beaucoup lu de sites sur le sujet, je ne joue pas avec le feu, enfin le froid, et je me réchauffe les mains sous les aisselles et entre les cuisses. Mais rien n'y fait, à peine je les ressors, je perds toutes les sensations. Mon ancien tee-shirt et mes gants se rigidifient sous l'effet du froid. Au bout de 30 minutes de tentative de réchauffement, je me dis que je ne peux pas rester là. Je remballe tout et prends la direction du téléphérique, au moins je pourrais m'abriter du vent. Et puis l'air de rien, le sac à dos tient chaud, et l'enlever, c'est presque comme enlever un pull. Arrivé là-bas, ça va bien mieux ! Je prends à nouveau quelques photos, puis le temps passant, il faut que je prenne le chemin du retour. La descente, c'est bien plus facile. On s'enfonce dans la neige et on fait des pas de géant. On croise tous les lacets de la montée, et un pas de descente en vaut trois de montée ! Je profite de mon repas bien à l'abri, couché dans la neige sur le bord du chemin. La nuit commence à tomber, et la route du retour est toujours la plus longue. J'arrive au magasin de location épuisé, et je reste assis sur le banc d'essai des chaussures pendant bien 5 minutes, le regard perdu, profitant de la chaleur ambiante pour réchauffer mes membres endoloris.
D'en haut, c'est plus beau ! |
Cette fois-ci c'est le propriétaire du magasin qui est là, un Québécois d'une quarantaine d'année, Jef. On discute en français, et il est impressionné par mon exploit du jour ! Entre-temps, j'ai reçu un mail d'un des mes anciens voisins, qui ont habité 6 ans à Calgary, et qui me conseille de visiter le Canyon Maligne. En effet, la rivière est gelée en hiver et l'on peut se balader au fond du Canyon. Je demande donc à Jef comment je peux y aller sans payer 60 CAD de frais de guide. Il m'indique sur un plan l'emplacement de la rivière, et les endroits où l'on peut rentrer dans le canyon. Je prévois donc de rester un jour de plus, afin de profiter à nouveau d'un jour de ski et de visiter le canyon avant mon départ.
Des skis français, si c'est pas du chauvinisme ! |
Quand j'arrive à l'appart, je suis lessivé, et je file au lit à 9 heures. Le lendemain, je retourne au magasin de location, que je commence à bien connaître. Jef est sympa et me file de supers ski Rossignol, griffé 74 ! Seul un Français comme moi peut savoir qu'il s'agit de la Haute-Savoie ! Je pouce à nouveau, et personne ne s'arrête pendant bien 15 minutes. Mais ce n'est pas perdu, et deux potes qui travaillent au Jasper Lodge me prennent. Ils vont skier le matin, avant d'aller bosser l'après-midi. Je suis surpris quand ils allument un joint dans la voiture : fumer ou conduire, plus la peine de choisir ! Même s'il fait bien froid (-22°C), et que le télésiège n'est pas toujours une partie de plaisir, je repars sur les pistes illuminées comme les sommets alentours par un beau soleil d'hiver.
Elle est pas belle la vie ! |
Sur le télésiège, je rencontre Sven, un Suisse de Lucerne qui est venu rendre visite à sa copine qui travaille à Jasper. On sympathise et je passe la journée avec lui ! Il skie vraiment bien et j'arrive à peu près à le suivre. Je tente même quelques petits sauts au snowpark. C'est plus sympa et le temps passe plus vite, parce que finalement, on passe plus de temps sur le télésiège qu'à descendre !
Il me propose de me ramener à Kamloops le soir même, puisqu'il y va pour rejoindre sa soeur et son copain, mais il me reste le fameux Canyon à visiter.
A midi, Dan m'offre le chocolat chaud, et ça me touche beaucoup !
En Suisse, on sait rester cool ! |
De retour au magasin de location, et oui, encore, je demande à Jef si il veut boire un verre ce soir, et il me propose de passer chez lui ! Donc je range l'appart, passe un coup d'aspirateur, prends 4 bières dans le frigo et me rends chez lui. Il est en train de préparer ses vacances en France, à Courchevel s'il-vous-plaît, et aux frais de la princesse (pass, location et appart' payés !). On attaque les bières, et il a un super système audio : ampli, double lecteur CD, 6 enceintes, et le son est vraiment bon ! Il me fait découvrir Katerine et Jean Leloup, du bon son en tout cas. On passe au vin rouge et je commence à bien bouger. Il me propose d'aller faire un tour en ville et j'accepte volontiers ! On passe dans un premier bar, où l'ambiance est carrément top, mais son ex est là et on peut pas rester. On se pose dans un autre bar plus posé, avec des potes à lui. On rentre en taxi à 3h du mat', et je suis rond comme un ballon.
A 7h30, c'est leur chat qui me réveille en grattant à la porte. J'ai la tête dans le gaz, mais un coup d'oeil à la montre et un bon demi-litre d'eau me remettent d'aplomb. Je range tout, passe un dernier coup d'éponge et je file en direction du magasin de location (comme c'est original !) pour laisser mon gros sac. Sur la route, je croise Dan qui part au boulot. Plus léger, j'attaque la route en direction du Canyon, soit environ une dizaine de kilomètres. Le défi est simple, il est 9h, j'ai mon bus à 12h, soit 3 heures pour y aller, le visiter et revenir. Je lève régulièrement le pouce dès qu'une voiture passe, mais aujourd'hui pas de chance, personne ne s'arrête. C'est ma barbe qui effraie ou bien mes crampons dans un sachet qui passent pour un animal mort, le doute m'envahit. Si un Etre Supérieur existe, qu'il daigne me venir en aide ! Vers 10h30, fataliste, je me résigne et fais demi-tour. Mais j'ai été entendu, une voiture s'arrête, ce sont des Américains de Caroline du Nord, dont la femme vient du côté d'Ulm en Allemangne. Ils me montent jusqu'au premier pont qui enjambe le Canyon. J'attaque la visite au pas de course, et je descends dans la rivière. Le stress commence à monter, et je demande aux gens que je rencontre s'ils peuvent me descendre. Un famille d'Edmonton (on prend les même et on recommence) accepte ! Enfin, on fait d'abord la visite ensemble. On discute, et on prend quelques photos.
Qui a laissé la tireuse mousser ? |
A touché le fond, creusez encore ! |
Quand on monte dans la voiture je jette un coup d'oeil à ma montre, ouh ça va être très juste. Ils roulent bien et j'arrive à Jasper. Je rends les crampons, je cours au magasin de location récupérer mon sac. Les deux vendeurs sont impressionnés, et me disent que ça fait chaud au coeur de voir quelqu'un qui se motive et qui fait plus que louer des skis pour la journée ! De là, je travers la rue et file au guichet : "Le bus de Kamloops, il est déjà parti ! enfin dépêchez-vous !" Mince, je cours dehors, saute dans le premier que je vois. Le chauffeur vérifie mon ticket, met mon sac dans la soute, et c'est parti ! Me voilà assis, le visage collé contre la vitre froide, écoutant la Rue Kétanou en regardant le paysage qui défile. "La mort est sans bagages, les poches vides et le coeur plein". Ah ce que l'on est bien ! Le stress accumulé dans le Canyon, compressé par ma course après le bus se transforme doucement en sentiment de bien-être ! Les montagnes se réduisent au fur et à mesure du trajet mais les sapins et la neige sont toujours aussi nombreux.
Sur le chemin du retour, le soleil se couche doucement sous mes yeux, et j'ai le sentiment du travail bien fait, d'un mélange de chance, de volonté, de courage et de rencontres, et je somnole doucement dans ce bus qui me ramène au ranch.
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J'aime beaucoup lire ce que tu écris, on dirait un roman. Ce qui me fais immédiatement penser à Into the Wild.
RépondreSupprimerJe ne sais pas si tu te souviens de moi, chez les Scouts.
Bisous et bonne continuation, j'admire ce que tu as entrepris.
Aurélie J.